par Edouard Pflimlin, le vendredi 06 janvier 2012

« L'actualité valide étrangement la cohabitation des deux dossiers que présente le dernier numéro de Politique étrangère », rappelle un éditorial en introduction à la revue de l'IFRI (Institut français des relations internationales). "Les événements de 2011 dans les pays arabes ou en Afrique, la préparation de l'élection présidentielle en Russie, les difficultés du système institutionnel américain et aussi l'écho, au loin, de l'Afghanistan, donnent, 20 ans après son triomphe des années 1990, la mesure de l'ambivalence, voire de l'ambiguïté, de la bonne conscience démocratique occidentale. La « démocratie » n'aura été que fugacement l'horizon – de court terme – indépassable de notre temps. La marche de l'Europe le long du gouffre vient aussi poser, en chapeau aux décisions prises pour parer à la crise économique et financière, la question de la production des décisions politiques sur notre continent. Étrange Europe… Les succès de la construction européenne sont historiques au pur sens du terme : la paix, la croissance, la répartition de la richesse, l'élargissement des espaces de liberté ; ces acquis n'ont été recueillis aussi rapidement dans aucun autre espace du monde et ils servent de modèle très largement à ce même monde. Et pourtant, on sent bien que quelque chose se passe en Europe qui ressemble au divorce entre les peuples européens et cette construction censée leur apporter leur plus grand profit historique."


La revue examine cette situation à travers les textes de spécialistes reconnus comme Alain Richard, ancien ministre PS de la défense, Maxime Lefebvre, diplomate, directeur des relations internationales à l'École nationale d'administration (ENA) et professeur en questions internationales à Sciences Po Paris ou encore Patrick Artus, directeur de la recherche et des études de NATIXIS, professeur d'économie à l'université Paris 1 et membre du Conseil d'analyse économique (CAE) auprès du Premier ministre ainsi que du Conseil d'analyse de la société (CAS).

Dans la première contribution Alain Richard estime que La crise européenne est d'abord le fruit des difficultés économiques et de leurs effets sociaux. Le projet européen d'une prospérité croissante et partagée est désormais vu avec défiance par les opinions publiques. À cela s'ajoute une gouvernance complexe depuis les élargissements de la précédente décennie. Un esprit collectif européen peut renaître du désir d'un rebond économique mais cette revitalisation dépendra beaucoup des élites médiatiques et politiques, ainsi que des nouvelles générations de citoyens européens.

Aussi faut-il Réenchanter le rêve européen s'interroge Maxime Lefebvre. La crise européenne est d'abord une crise de gouvernance : l'UE élargie n'a pas de structure institutionnelle efficace et légitime. Elle questionne aussi une identité européenne qui s'impose de moins en moins aux logiques nationales. Au-delà, la crise affecte gravement le moral des Européens : le projet européen dans son ensemble paraît usé. Ce projet ne pourrait rebondir qu'en se redéfinissant autour des notions de politisation, de subsidiarité, de solidarité et de différenciation.

Mais pour répondre aux défis de la crise, il faut désigner les responsables, estime Patrick Artus.
Qui est responsable de la crise des dettes souveraines ? Les concepteurs mêmes de la zone euro. Puis les gouvernements et la BCE, qui n'ont pas vu les dangers de l'alignement sur le bas des taux d'intérêt. Et les régulateurs des banques, qui ont laissé se coupler dette souveraine et risque bancaire. Les investisseurs enfin, qui ont acquis la dette des pays périphériques au même prix que la dette allemande. Seule une action sur tous ces mécanismes permettra de répondre aux défis de la crise.

Cependant la crise ne remet pas à plat toute la construction européenne. Prenant le cas de Schengen, Virginie Guiraudon, directrice de recherche CNRS au Centre d'études européennes de Sciences Po à Paris, estime que la convention de Schengen est souvent vue comme un succès symbolique de la construction européenne, et la crise de 2011, après l'arrivée en Italie de migrants tunisiens, comme la mettant en cause. Conçue initialement pour faciliter la circulation dans le grand marché unique, Schengen a d'abord servi à renforcer les frontières extérieures de l'Union dans une logique sécuritaire et intergouvernementale. En dépit d'échanges parfois acides, la crise de 2011 n'a rien changé à cet état de fait.

Cependant, il y a aussi des progrès dans la construction européenne. Pour Jacques Mistral, directeur des études économiques à l'IFRI, membre du Conseil d'analyse économique (cabinet du Premier
ministre), du Cercle des économistes et président de la Société d'économie politique, l'Union monétaire a su franchir des étapes décisives : accord pour un règlement collectif ; mise sur pied d'un dispositif financier pérenne ; implication du secteur privé dans le traitement de la dette ; resserrement de la solidarité politique autour de la monnaie commune. Il reste à dépasser ces avancées dans une nouvelle percée institutionnelle allant dans une direction fédéraliste. Le débat est ouvert en Allemagne, on doit s'y préparer en France.

Il reste que convaincre l'opinion sera compliqué. Pour Cécile Leconte, responsable du Master affaires européennes à l'Institut d'études politiques de Lille, auteur notamment de L'Europe face au défi populiste (Paris, PUF, 2005) et Understanding Euroscepticism (Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010), le scepticisme des citoyens européens à l'égard de la Banque centrale européenne, du Conseil, de la Commission et même du Parlement augmente. Les plans destinés au sauvetage des pays les plus fragiles de la zone euro sont perçus négativement et la confiance dans la monnaie unique tend à s'éroder. Au niveau même des partis politiques, le projet européen est peu remis en cause dans ses fondements, mais de plus en plus de critiques s'expriment concernant la gouvernance de l'Union européenne.

C'est tout le défi d'une Union européenne dont les différents Etats ne partagent pas tous, loin de là, les mêmes valeurs, les mêmes priorités stratégiques et les mêmes préoccupations quotidiennes.
L'Europe reste divisée, sa construction progresse mais en même temps est menacée. C'est tout l'intérêt de ce numéro de la revue trimestrielle de l'IFRI de dresser un constat, d'analyser les menaces et de proposer des pistes pour faire avancer le débat européen et relancer une construction européenne nécessaire pour éviter que l'Europe ne soit marginalisée face aux autres régions du monde.


Se procurer la revue :

« La construction européenne ? » Politique étrangère, 4:2011, IFRI, Paris, 2011

Disponible notamment sur le site de la Documentation française : http://www.ladocumentationfrancaise.fr

Le site de l'IFRI : http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=6935&id_provenance=123&mainclick=PE


Edouard Pflimlin est chercheur à l'IRIS et chroniqueur à Fenêtre sur l'Europe.
Il est l'auteur d'une note pour la Fondation Schuman : "Vers l'autonomie des capacités militaires de l'Union européenne ?"

Lien : http://www.robert-schuman.eu/notes.php?num=33

Son dernier ouvrage : Edouard Pflimlin, "Le Retour du Soleil levant. La nouvelle ascension militaire du Japon", Ellipses, Paris, 2010, 220 pages, 19,50 euros.

http://www.editions-ellipses.fr/advanced_search_result.php?osCsid=0c99cfdfcc55b810ab32184c9fea36cd&keywords=pflimlin&osCsid=0c99cfdfcc55b810ab32184c9fea36cd&x=0&y=0

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